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Points de vue

Choura : un concept démocratique resté lettre morte

Rédigé par Seyfeddine Ben Mansour | Samedi 16 Novembre 2013 à 06:00

           


Choura : un concept démocratique resté lettre morte
Ahmad Al-Raysuni vient de faire paraître aux éditions L’Harmattan un essai intitulé La shûrâ : le principe de délibération collective. L’auteur, qui enseigne le fiqh à l’université Muhammad V de Rabat, y analyse les significations essentielles de ce principe moral devenu concept politique.

En islam, morale et politique ont pour finalité essentielle l’épanouissement complet de l’homme, à la fois spirituel et temporel, dont notamment l’amélioration de ses conditions d’existence matérielle et, partant, la sauvegarde de sa dignité religieuse. La choura, que l’on peut traduire par « (principe de) consultation », est un des moyens en vue de cette fin.

Le mot apparaît trois fois dans le Coran. La première mention limite le champ d’application à la première cellule sociale, la famille nucléaire, invitant le père et la mère à décider ensemble, « d’un commun accord », du sevrage de leur enfant (II : 233).
La seconde est celle dont la portée est la plus générale. Elle figure du reste dans une sourate qui en porte le nom : « La Délibération », et met en avant l’idéal moral incarné par ceux « qui se consultent entre eux au sujet de leurs affaires » (XLII : 38).
La troisième, enfin, est l’occasion de souligner que, fût-il guidé par Dieu lui-même, et fût-il entouré de personnes faillibles, le meilleur des hommes ne devait pas moins les consulter, et se montrer « bienveillant à leur égard ». C’est là en substance, l’injonction faite au Prophète (III : 159).

Néanmoins, le Coran énonce ici un principe, sans préciser, sur le plan pratique, ce qui devrait en constituer les règles d’application. Le passage du plan moral au plan politique, de la légitimité islamique aux différentes formes de la légalité étatique, sera, de fait, l’œuvre des théologiens. A partir des textes du Coran et de la Tradition, ils ont élaboré ‒ par analogie, recoupement, déduction et extrapolation ‒ des prescriptions qui dessineront les modalités d’un cadre politique idéal. S’élaborera ainsi, au fil des œuvres et des siècles, une véritable théorie politique du califat, qui repose essentiellement sur un contrat de pouvoir et la capacité de gouverner.

Un principe noble mais resté lettre morte

Ni impeccable, ni infaillible, contrairement à l’Imam chiite, le calife sunnite est en théorie un simple « fondé de pouvoir » (c’est là un des sens premiers de khalîfa). S’il est bien chef spirituel et temporel, c’est en tant que gardien de la loi religieuse et délégué à la gestion des biens du peuple (de la oumma). Dès lors, son accession au pouvoir suppose un contrat qui consiste en une élection, suivie d’une investiture, elle-même scellée par une ratification populaire.

Le suffrage universel relevant autrefois, et pour des raisons logistiques évidentes, d’une utopie, l’élection devait être le fait de trois collèges : les ulémas (dépositaires d’un savoir juridique et religieux), les urafâs (dépositaires d’un savoir de type technocratique, et notamment experts socio-économiques) et les ahl ash-shawka (dépositaires d’un pouvoir coercitif : chefs de tribus, eux-mêmes mandatés par leurs pairs). L’investiture (bay‘a) finale est le fruit de cette délibération collective.

Le contrat de pouvoir ainsi conclu consiste en un double serment de fidélité : le calife s’engage à veiller sur les intérêts matériels et moraux du peuple, qui, en contrepartie, lui doit obéissance et loyauté. Dans les faits, la dialectique des principes d’obéissance et de consultation a presque toujours consacré la prééminence du premier sur le second, tant il est vrai que l’histoire des successions califales est, essentiellement, une histoire dynastique.

Première parution de cet article dans Zaman, le 27 septembre 2013,





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