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Points de vue

Cheikh Abdessalam Yassine : le mourchid et les abeilles

Par Hamza Braiki*

Rédigé par Hamza Braiki | Jeudi 20 Décembre 2012 à 00:00

           


Chers frères, chers sœurs, chers cœurs,

Je vous livre mes pensées les plus intimes en écrivant cet article, que je dédie à la nation humaine, aux fils d’Adam. Soyez compréhensifs envers ces quelques mots, et épargnez-moi, s’il vous plaît, cette méfiance, ce jugement si facile en ces circonstances.

Ce témoignage à vif est celui d’un orphelin. Le père spirituel que j’ai choisi, Cheikh Abdessalem Yassine, s’en est allé. Jamais assez de mots pour transcrire la peine, la tristesse, mais aussi la satisfaction du décret divin… A Dieu nous appartenons lorsque l’on choisit de le servir. Et à Lui nous reviendrons lorsqu’Il décidera de nous accorder la retraite sublime.

Le Prophète nous annonce la bonne nouvelle que, après son départ, Dieu suscitera des hommes pour affermir la vérité, hériter de la science des cœurs, diffuser par phosphorescence l’Amour et renouveler le tissu de la foi. Ces hommes furent quelquefois renommés à juste titre de leur vivant, parfois ignorés et dissimulés par Dieu, tandis que d’autres s’activèrent sans relâche à soulever les cœurs et à leur faire goûter à la plénitude de la foi. Ces hommes si sensibles à la justice parmi les hommes diffusèrent tendrement leurs enseignements à leurs fils adoptifs.

Je me souviens, lorsque j’atteignis la majorité, que mon père, imam ayant éduqué ses enfants dans la foi, m’offrit le livre phare du Cheikh Yassine La Révolution à l’heure de l’islam, comme s’il lui transmettait le relais. Comme s’il confiait son fils aux mains d’un homme qui parachèvera son éducation. Les affluents de la foi, le projet de renouveau, le réveil réel politique non-violent, la profondeur spirituelle animée d’un désir ardent d’œuvrer sans cesse pour Dieu, pour les hommes, tout cela dans un français juste, harmonieux.

J’étais un jeune déjà familier du Coran et des principes prophétiques. Les mots du Cheikh donnaient une résonance, un objectif, une direction. Ya Allah, qui dois-je fréquenter pour aller à Toi ?

Dieu m’a amené à ses disciples sur Lyon. Des hommes d’exception. De différents horizons et origines, aux passés singuliers, mais aux sourires si aimables, si communicants. Tant d’heures en assise, à pratiquer la foi, à méditer, à se souvenir, tant de nuits passées à prier ensemble, tant de versets coraniques récités et étudiés, avec en commun l’amour de Dieu, de Son Prophète et de cet homme du renouveau.

Près de 12 ans après, je suis encore là, al hamdulillah, encore plus convaincu et plus déterminé à entendre l’appel de Dieu, et à y répondre par la méthode prophétique, minhaj annabawi, la spiritualité active et l’engagement plongé dans le bain spirituel.

Dieu nous donne à travers la Nature un tas de leçons merveilleuses à méditer. Aussi, l’un de Ses modes d’enseignements principaux dans le Coran est la métaphore, el methel.

Les abeilles vivent en communauté d’amour et d’altruisme. Le groupe n’a qu’une mère, la reine, qui peut vivre de nombreuses années, et donc connaître de nombreuses générations d’enfants. Ces enfants se mettent dès leur (re)naissance au service de la société. Certains s’occupent des nouveau-nés, accueillent les nouveaux-venus, ce sont les ansar (titre donné aux Médinois par Dieu) ; d’autres s’occupent de la reine, se mettent à son service et ainsi se couvrent de cette lumière biologique qu’est la phéromone, ce sont les rapprochés, les intimes ; d’autres construisent les rayons et consolident la ruche, ce sont les éducateurs, les responsables. Ils sont aidés dans leurs missions par l’empreinte laissée sur les cadres de cire.

Cette empreinte qui détermine l’organisation des alvéoles est semblable à l’héritage légal islamique, Coran et Sunna, qui encadrent l’œuvre sur le sentier de Dieu.

D’autres abeilles surveillent l’entrée de la ruche, contiennent les intrus, au péril de leur vie, ce sont les mourabittoun, les gens du ribat, mais également l’avant-garde, l’élite du courage priant la nuit et s’efforçant le jour à cumuler les bonnes actions. D’autres ventilent et humidifient afin de maintenir un climat tempéré, serein tant dans les été torrides que les hivers rigoureux, ce sont les aimants (dans les deux sens du terme), ceux qui réconcilient les cœurs et sèment l’amour fraternel.

Enfin, après avoir pratiqué toutes ces fonctions pendant le premier tiers de leur vie ; elles sont dévoués au butinage : parcourir les vallées et les champs afin d’y trouver les meilleurs nectars cachetés, peu importe l’importance des plantes.
Ensuite, elles repartent en ayant pris autant de chargement dans leur jabot que leur propre poids. Elles récupèrent au passage du pollen, source de protéine (l’équivalent de la science juridique, fiqh, utile pour construire ses muscles spirituels). Elles ne quittent pas une plante sans l’avoir ensemencée, enrichie de leur patrimoine spirituel, l’empreinte de leur colonie.

Elles reviennent à la ruche, prennent le temps de communiquer le bon plan et invitent leurs sœurs à y cueillir cette subsistance.
Entre-temps pendant son vol de retour, l’abeille mélange dans son gosier le nectar avec ses propres enzymes, sa propre pensée, et le travail de synthèse commence dès lors. Arrivée à la ruche, et après sa danse communicative, elle transmet la substance à sa sœur ouvrière, la bonne compagnie. Celle-ci va le régurgiter plusieurs fois, comme pour retenir cette science, l’étaler, diminuer son taux d’humidité, pendant plusieurs jours à l’échelle d’une vie d’abeille. Ensuite, elle l’entrepose dans une alvéole.

Avec la chaleur affective et l’amour sincère, la substance va encore évoluer jusqu’à devenir du miel succulent que l’ouvrière scelle avec de la cire. Ce miel sera produit comme réserve de la colonie ainsi que pour les hommes.

« Et voilà ce que ton Seigneur révéla aux abeilles : "Prenez des demeures dans les montagnes, les arbres, et les treillages que les hommes font, puis mangez de toute espèce de fruits, et suivez les sentiers de votre Seigneur, rendus faciles pour vous." De leur ventre sort une liqueur, aux couleurs variées, dans laquelle il y a une guérison pour les gens. Il y a vraiment là une preuve pour les gens qui réfléchissent. » (Coran, sourate 16, versets 68-69)

Le miel est le produit de toutes ces assises, tous ces moments décrits ainsi par le Prophète : « Des assemblées où les anges font compétition pour assister. » Ce miel sort des poitrines, des cœurs des abeilles engagées. Il guérira les maladies de la solitude, du doute, du déni de soi, de la rancune et autres.

Je vous recommande, mes frères, me sœurs, mes cœurs, de rechercher ces assises, de les réclamer où que vous soyez, de prier Dieu qu’Il vous montre la voie. Dieu ne déçoit jamais ce type de vœu. Comment en serait-il autrement ?

Le Prophète nous informe que la science disparaîtra avec le temps, par le départ des gens de science. Je vous invite, en hommage à tous ces savants qui nous ont quittés ces dernières années (Cheikh Ghazali, Cheikh Deedat, Cheikh Sy, Cheikh Kichk, Cheikh Albani…), à vous accrocher au savoir, à vous acharner à le conserver. Au lieu de nous apitoyer sur leur départ, donnons-leur un sens et réagissons comme ces abeilles lorsque la reine s’en va, car le monde a besoin de vous.

Je salue la mémoire de tous ces hommes, ainsi bien sûr qu’au Prophète, bénédictions de Dieu sur lui. Je remercie Dieu de m’avoir permis de baigner dans la jama’a (PSM).


* Hamza Braiki, membre de Participation et spiritualité musulmanes (PSM et disciple de Cheikh Yassine, Lyon.






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