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Culture & Médias

Ces feuilletons donnent une imagerie décomplexée et moderne de l’Islam

Entretien avec Varlik Selami, rédacteur en chef adjoint à Zaman-France

Rédigé par Faïza Ghozali | Samedi 11 Juin 2011 à 14:10

           


SaphirNews: Les feuilletons turcs ont-ils autant de succès auprès de la diaspora qu’en Turquie ?

Varlik Selami : Ca marche énormément. Peut-être même mieux qu’en Turquie, pour certaines séries. Si on réfléchit en terme de classes sociales : le fait est qu’en France, la grande majorité de l’immigration turque appartient à la classe populaire, car c’est une immigration encore récente en comparaison avec la communauté française issue du Maghreb.
On regarde ces feuilletons en famille, tous devant la télévision.

SaphirNews : Quels sont les feuilletons préférés de la diaspora turque en France ?

Varlik Selami : Öyle bir geçer zamanki (Le temps passe tellement), Tek Türkiye (Une seule Turquie), Kollama (Protection), Kurtlar vadisi (La vallée des loups), Ask ve ceza (Amour et châtiment).

SaphirNews : Comment expliquer ce succès ?

Varlik Selami : C’est vrai qu’on peut s’étonner de voir que même les jeunes d’origine turque, parfaitement éduqués et diplômés, très bien « intégrés » comme on dit dans la société française, restent à ce point attachés à ce type de programme. Cet intérêt dénote deux phénomènes. Primo, une proximité culturelle : ces jeunes se reconnaissent dans l’environnement socio-culturel que les feuilletons mettent en scène. Deuxio, ça confirme une proximité linguistique : en général, les européens d’origine turque maîtrisent leur langue d’origine – a contrario des Français issus de l’immigration du Maghreb qui, souvent, parlent moins l’arabe.

SaphirNews : Sur quelles chaines sont diffusés ces feuilletons ?

Varlik Selami : Sur le satellite bien sûr. Mais la plupart des chaînes nationales turques ont leur pendant à destination de la diaspora en Europe, à l’instar de STV avec STV Avrupa qui diffuse à partir d’Allemagne.

SaphirNews : Quel est le public de ces feuilletons ?

Varlik Selami : Peut-être un peu moins les jeunes que leurs aînés. Mais on peut aussi distinguer, sans trop tomber dans la caricature non plus, les feuilletons au public plutôt féminin d’un côté et de l’autre, ceux qui rassemblent un public davantage masculin. Les femmes au foyer adorent les histoires d’amour impossible ou d’unions du type le prince et la bergère. Les feuilletons comme Une seule Turquie ou La Vallée des loups – qui a fait polémique en Israël notamment -, qui évoquent en toile de fond les bouleversements politiques et sociaux que traverse le pays suscitent l’intérêt d ‘un public davantage masculin, dont il savent éveiller le sentiment patriotique. Les rivalités entre le clan militaire et celui d’Erdogan par exemple, sont évoqués.

SaphirNews : Beaucoup plébiscitent la « modernité » de ces feuilletons. Qu’entend-on par là ?

Varlik Selami : Ce que montrent ces séries en effet, c’est l’embourgeoisement des classes populaires turques depuis une quinzaine d’année. Erdogan en est un bon exemple, issu de ces Lions d’Anatolie (la nouvelle bourgeoisie musulmane, attachée aux valeurs traditionnelles en même temps qu’elle juge que la mondialisation profite à l’économie, qui vote AKP), qui ont grimpé progressivement les échelons de la société et réussi.
Autre fait notable que révèlent ces feuilletons : les musulmans se sont décomplexés dans leur rapport à l’Occident. Ces feuilletons donnent justement à voir une imagerie décomplexée et moderne de l’Islam.

SaphirNews : Ce sont les mêmes raisons qui expliquent leur succès au Maghreb et dans le monde arabe ?

Varlik Selami : Oui. Même s’ils montrent une modernité, des femmes séduisantes ou de grands restaurants chics stambouliotes par exemple, on y voit aussi la grand-mère voilée qui fait sa prière, on y entend l’appel à la prière… En fait, l’image qui est ainsi donnée des riches Turcs citadins offre une figure de l’altérité très proche.




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