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Points de vue

Cachez cet antisémitisme que je ne saurais voir

Les récits de Bent Battuta

Rédigé par | Mercredi 30 Novembre 2016 à 11:00

           


The Capture, œuvre de Nate Ripp, illustre la Nuit de cristal, le pogrom perpétré par les Nazis contre les Juifs, qui se déroula dans la nuit du 9 au 10 novembre 1938. Près de 200 synagogues et lieux de culte furent détruits, 7 500 commerces tenus par des Juifs saccagés ; une centaine de Juifs furent assassinés et près de 30 000 furent déportés en camp de concentration.
The Capture, œuvre de Nate Ripp, illustre la Nuit de cristal, le pogrom perpétré par les Nazis contre les Juifs, qui se déroula dans la nuit du 9 au 10 novembre 1938. Près de 200 synagogues et lieux de culte furent détruits, 7 500 commerces tenus par des Juifs saccagés ; une centaine de Juifs furent assassinés et près de 30 000 furent déportés en camp de concentration.
VIENNE. − Malgré ses nombreux et riches musées, son architecture imposante, la capitale autrichienne n’a jamais vraiment trouvé grâce à mes yeux. Je ne m’y suis jamais vraiment sentie à l’aise…

Elle fait néanmoins partie depuis quelques années de mes passages obligés européens, principalement parce qu’elle est le siège de l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) et autres organismes internationaux.

Kristallnacht. C’est à cette occasion que je m’y suis rendue la première fois. Kristallnacht, la « Nuit de cristal », c’est une formule poétique utilisée par les nazis pour évoquer le pire, à savoir une nuit pendant laquelle magasins, propriétés des citoyens allemands et autrichiens juifs ont été saccagés. Au sens littéral du terme. Un déchainement organisé du mal. Je refuse de penser qu’il s’agissait d’un moment de folie. Hannah Arendt, philosophe du siècle passé, a montré que la haine, le mal sont insidieusement présents dans la normalité. Chez Monsieur et Madame Tout-le-Monde.

Un peu comme cette idée qu’il n’y a pas de dérapage raciste. Ce n’est jamais un dérapage. Je ne supporte plus les journalistes et les politiques qui nous vendent du « dérapage » après les phrases et discours de nos candidats. Quand un homme politique désormais de premier plan dit que la France est « à prendre comme une femme » ou que la colonisation n’est après tout qu’« un partage de culture » (celui de la barbarie probablement), je ne supporte plus qu’on minimise ses propos en les qualifiant de « dérapages ». Ils sont le reflet d’une pensée articulée. Sexiste et raciste.
Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde, comme disait l’autre.

Mais revenons-en à Vienne. Lors de mon voyage après des visites officielles à la rencontre des communautés musulmanes, du département d’islamologie de l’Université de Vienne, nous avions rencontré le grand rabbin de Bruxelles et les enseignants des établissements juifs. Avant la Shoah, on estimait la population juive à 300 000 âmes, principalement dans la capitale autrichienne. Elles ont disparu après l’Holocauste. Les juifs sont moins de 10 % aujourd’hui. On comprend aisément que parmi ceux qui sont restés la mémoire soit vive. C’est autour de la mémoire que beaucoup de discussions tournent.

Lors d’une discussion entre le grand rabbin et l’imam de Vienne, le premier questionne le suivant sur la transmission de cette mémoire chez les jeunes écoliers d’origine turque. J’apprendrai que c’est une des questions et préoccupations des représentants juifs présents à ces rencontres à la veille de la commémoration de la Kristallnacht.

Depuis quelques années, un débat fait rage en France et en Europe. Celui de l’antisémitisme supposé des nouvelles populations européennes de confession musulmane. Les Turcs à Vienne, les Maghrébins dans d’autres contrées européennes.

Ici et là surgissent des sondages et études pour clamer que le vieil antisémitisme, celui de la Shoah, est éteint, est chose dépassée ; et que ce qui préoccupe désormais, ce sont les nouveaux barbares… Les Merah et Coulibaly y sont pour quelque chose.

Habile femme politique, Marine Le Pen emboitant le pas à Geert Wilders, la tête d’affiche de l’extrême droite néerlandaise, ne cesse de clamer son innocence et de redorer l’image du parti de son père, l’homme du « détail de l’Histoire ». Elle met en avant les racines judéo-chrétiennes de la France et de l’Europe, superbe escroquerie historique du dernier demi-siècle de l’Europe qui, après avoir massacré pendant des siècles les communautés juives qui y vivaient, se met à revendiquer son héritage juif. On n’est plus à une petite entorse avec l’Histoire pour faire oublier le passé raciste, antisémite, colonial et impérialiste de l’Europe. Et le pire, c’est que ça marche…

Le même principe est utilisé par nos politiques premiers défenseurs des femmes voilées au nom de la Liberté et premiers soutiens de leurs collègues parlementaires accusés de viol ou d’agressions sexuelles. Ne cherchez aucune logique à cela. Il n’y en a pas, si ce n’est d’ériger certains comme coupables. Par essence.

Il y a quelques jours, un ami journaliste new-yorkais m’a envoyé les clichés des jeunes soutiens de Donald Trump faisant le salut nazi en hommage à Trump qui, lui, a fait comme si rien ne s’était passé. Prétendre qu’on ne voit rien. Prétendre que cela n’a pas existé. Voilà ce qui souvent permet l’horreur.

Il y a quelques années, la télévision fédérale allemande a réalisé un documentaire sur une petite bourgade allemande dans laquelle un camp de travail forcé avait été construit pendant la Seconde Guerre mondiale. Les journalistes avenants ont frappé aux portes des habitants qui avaient vécu toute leur vie là-bas. Après quelques questions anodines et avoir acquis la confiance de leur interlocuteurs, ils les ont questionnés sur 1933. Les uns ont alors été pris de trou noir, quand d’autres claquaient la porte.

Le pire n’est jamais une fatalité, il est possible parce que l’on fait semblant de ne pas vouloir le voir, de ne pas vouloir le reconnaitre.

Les combats d’hier comme d’aujourd’hui sont des combats de vigilance. Ne jamais laisser passer des paroles racistes ou sexistes, même quand elles ne nous concernent pas directement. « Quand vous entendez dire du mal des Juifs, dressez l’oreille, on parle de vous », disait Frantz Fanon dans Peau noire, masques blancs (1952). Des décennies plus tard, la formule n’a pas pris une ride.

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Samia Hathroubi est déléguée Europe de la Foundation for Ethnic Understanding.



Samia Hathroubi
Ancienne professeure d'Histoire-Géographie dans le 9-3 après des études d'Histoire sur les débuts... En savoir plus sur cet auteur


Réagissez ! A vous la parole.

1.Posté par Helena lsesas le 01/12/2016 00:00 | Alerter
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Bonsoir, peut-on vraiment trouver un prêteur sérieux ? Le net est rempli de petites annonces dont le sérieux peut être mis en doute : arnaques visibles ou offres trop alléchantes pour être vraies, où se diriger lorsque l'on ne peut pas emprunter à une personne que l'on connaît mais que l'on ne peut pas ou que l'on ne souhaite pas passer par le système de prêt bancaire classique ?Si vous avez besoin d'une aide financière, Adressez-vous à un bon particulier pour plus d'informations Mr Antonio .... E-mail ........... prestamoservice02@gmail.com
Faite passez le message !!!
Merci

2.Posté par François Carmignola le 01/12/2016 07:43 | Alerter
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Contrairement à ce qui est affirmé un peu vite, la colonisation (disons celle menée essentiellement Afrique pendant un siècle par les européens, fut effectivement l'occasion d'un "partage de culture" entre un monde européen en développement rapide et un ensemble humain et géographique qui peine toujours a accéder à un niveau de culture et de richesse acceptable.

Quand à l'antisémitisme des populations immigrées en provenance d'Afrique, il est patent est a plusieurs aspects, tous liés à l'histoire. D'une part la domination séculaire sur les dhimmis juifs, notés par les voyageurs d'avant la colonisation, puis le ressentiment lié aux décrets Crémieux, puis bien sur l'"antisionisme", développé lors de la création de l'état d'Israël qui se traduisit par le départ de toutes les populations juives d'Afrique du nord. Elles y habitaient depuis l'Empire Romain, et furent obligés d'en partir.
Ajoutons les légendes sur la "richesse" des juifs, ponts aux ânes, avec celle des juifs esclavagistes (il ne le furent que pour les slaves, au moyen-âge) de la forme, assez répandue, de l'antisémitisme sub saharien.

Peut on parler d'un partage de culture dans l'autre sens avec l'arrivée en nombre en Europe d'habitants de l'Afrique ? Certains le disent, la deuxième guerre mondiale ayant, il faut le dire, anéanti la forme traditionnelle de l'antisémitisme européen populaire.

3.Posté par Melen le 05/12/2016 16:50 | Alerter
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Sacré François.


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