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Points de vue

Aux sources des maux du Sud

Rédigé par Chems Youssef | Mercredi 27 Octobre 2004 à 00:00

           

Dernier de portée, ce rejeton ingrat et oublieux des Platon, Aristote, Ibn Khaldoum ou Averroès qui sont passés par là bien avant les indigentes Lumières, n’a retenu des superbes civilisations transmises par les passerelles de tous les Orients que le rejet viscéral de l’Islam, définitivement scarifié dans les peurs génétiques de nos contemporains.



Dernier de portée, ce rejeton ingrat et oublieux des Platon, Aristote, Ibn Khaldoum ou Averroès qui sont passés par là bien avant les indigentes Lumières, n’a retenu des superbes civilisations transmises par les passerelles de tous les Orients que le rejet viscéral de l’Islam, définitivement scarifié dans les peurs génétiques de nos contemporains.

 

Le Sud victime du Nord

L’Occident a besoin d’ennemis qu’il lui faut diaboliser jusqu’à la caricature. Bush a choisi l’Islam des Talibans et en a fait la justification de ses attaques contre une pauvre humanité en guenilles, sans force ni ressources, affamée par des embargos et laminée par des bombardements d’altitude. Il a oublié qu’un jour il faut redescendre sur terre, dans le sable des déserts ou dans la ruelle des guérillas là où des hommes, des vrais, de chairs et de muscles, les attendent pour les plus légitimes combats. Ces gens-là n’ont besoin ni de cellules-psy ni d’infirmières de l’âme. La foi en Dieu est dans leur cœur et cela leur a suffi depuis quatorze siècles malgré les innombrables pressions de l’Occident.

Les colonisations, puis les fuites hâtives ont enfanté des populations nouvelles et des cultures de guerres  adossées à des victoires absolues et définitives. L’Occident a perdu tous ses conflits depuis quelques générations. Les troupes enrôlées de force ont bien constaté les déficiences et les reculs de leurs dominateurs d’hier, vaincus d’aujourd’hui à Dien-Bien-Phû, en Algérie ou même sur le territoire national, par des moudjahiddins berbères, arabes ou tonkinois. Le piédestal a volé en éclat et ils ont été les témoins de la chute de leurs « maîtres ». Comment ensuite plier l’échine en rentrant au pays… !

 

Les occidentaux ont alors imaginé une reconquête plus sournoise, par l’argent. Leurs économistes ont planifié avec maestria des besoins conçus par un marketing agressif. On assiste tout simplement à une nouvelle conquête culturelle des sociétés sous-développées à travers de consternants produits. Et si un(e) musulman(e) ou une personne du Sud résiste et le fait savoir, cela en fait un individu impossible à « intégrer », inadapté, qu’il faut alors rejeter. Nos frères exploités ne doivent jamais oublier d’où ils viennent et par quels terribles chemins ils sont arrivés à nous. Les pouvoirs du Nord se permettent tout, au nom d’une lutte contre le terrorisme plus ou moins justifiée. Il faut casser les velléitaires et assouplir les dos. Prisons indignes aux Etats-Unis, frontières fermées, caution de Sharon et autres séides, soutien à Poutine, et copinage avec les alliés fantoches du golfe. Ils ont si peur de perdre leurs acquis que tous les moyens sont bons. Mais, le musulman porte en lui le message du Prophète (ass), imprégné de Paix et de Tolérance, issu de la merveilleuse citée communautaire de Médine. Cette détermination gêne et ils voudraient que nous nous vidions de notre identité, en nous  imposant des concessions inacceptables.

 

La Grande Mechta

La fin des guerres mondiales  consacra la chute des empires et la bipartition de la planète. Les nucléaires ont obligé tout ce beau monde à s’entendre sur le dos des nations défavorisées, et le Sud paie aujourd’hui encore les accords paraplégiques de Yalta. Les concentrations capitalistes et industrielles ont  accouché de groupes financiers énormes aux chiffres d’affaires souvent plus importants que bien des budgets nationaux africains ou asiatiques. L’on trouve cela normal. Et les moutons de Panurge continuent d’acheter du Coca, du Philips, de la Ford ou de l’Unilever, ainsi que bien d’autres produits dits « de marque ».

C’est le triomphe  de la « Pax des v.r.p » sur le reste du monde. Plus de douanes : on s’arrange entre  Monaco, Vaduz, Bahamas et Manhattan. Avec les bénédictions des dirigeants qui y trouvent leurs comptes, numérotés bien évidemment. Les paix coloniales avec les habituels mouvements d’indépendance n’intéressent plus personne, perte de temps et d’argent. Qu’ils la prennent leur liberté, qu’ils chantent l’air pur reconquis sur les podiums des Nobel. Le piège est ailleurs, aux caisses des supermarchés du coin, aux penderies des Zara et autres Gap, aux guichets des banques plus ou moins mondiales, aux micros des criées et des cotations. On n’a pas lâché les réserves de pétrole et de gaz, loin de là, mais on les a emballé dans le bolduc des nouveaux Etats. L’essence a gardé sa couleur, celle du billet vert.

 

Le monde est devenu un village global, une Grande Mechta, unique et immense marché de consommateurs avides des nouveaux produits qu’on leur invente chaque jour. Les pays les plus riches « délocalisent » vers une main d’œuvre corvéable à loisir et presque gratuite. Tout bénéfice. Les guerres coloniales n’ont été que le bras armé du vol des matières premières. Une association de voyous en bandes organisées. Le Nord, sous la pression libertaire internationale, a été contraint de changer ses méthodes et a enfilé la  panoplie d’une nouvelle forme d’exploitation par les banques, les industries et les commerces virtuels où tous s’étripent sans état d’âme, entre une partie de squash et un Manhattan bien frappé au Harrys Bar de la Cinquième Avenue. Le système est parfait, déshumanisé, mécanisé. Avec une loi, celle du profit. Il fabrique, je te vends et  tu achètes.

 

La plus dramatique trahison de l’Islam

 

Les tutelles des Etats du Sud se sont transformées, plus fines, plus insidieuses, sans pitié. D’un colonialisme new-look à un esclavagisme chafouin mais efficace on tue tous les jours des femmes et des enfants par la malnutrition, la pénurie de soins ou l’abandon de populations entières aux haches des confrontations ethniques encouragées par des diplomaties feutrées. L’ensemble du monde islamique est complètement dominé par les économies de marché et les spéculations avec intérêt, un crime coranique. Les pays pétroliers ont laissé passer leur chance. En leur offrant l’or noir, Dieu les a sorti des caravanes millénaires. Or l’immense revenu de cette manne se réfugie, comme aimantée, dans les coffres du Nord. Adieu la liberté et l’indépendance. On retourne à la case départ : on enrichit le dominant en lui offrant  une arme de puissance absolue, l’argent.

 

Le terrible processus d’endettement est en marche et, à terme, fera la loi définitivement. La chance est passée…Des djellabas ventrues ont remplacé les chameliers efflanqués et ont trompé la confiance que Dieu leur a offerte. Perte d’influence politique, exploitation sans morale, les dettes s’accumulent au Sud et provoqueraient, chaque jour, dix mille morts par manque de tout. Les professionnels de Manhattan ont recolonisé les pays pauvres, sans visage, sans arme, avec simplement quelques fax. Pour les populations musulmanes du Sud, c’est la plus dramatique trahison que l’Islam ait jamais connue.

 

Certains ont depuis longtemps auguré cette situation de déséquilibre et d’abandon des valeurs humaines. Dans les années d’après guerre Bernanos nous prévenait : « A la dictature de l’argent viendra se joindre la technique et nous verrons grandir un monde fondé chaque jour sur l’accord plus intime du capital et de la science, du ploutocrate et de l’ingénieur, d’où va sortir une sorte de déterminisme économique, une loi d’airain seule capable de remettre la multitude à genoux. »

 

Pour autant, nous ne devons pas nous replier et oublier les avancées magnifiques de la modernité, Etat de droit, démocratie, progrès scientifiques et économiques. Mais nous devons les intégrer et en profiter comme les autres, ceux du Nord, sans oublier que le Monde est multiple, que les tendances planétaires des communautés issues d’une diaspora, par définition éclatée, ne sont pas celles des musulmans et sont souvent en parfaite contradiction avec les lois divines et coraniques.

 

Aujourd’hui, le divin a cessé d’être la référence. Des guides issus de l’univers artistique ou du milieu littéraire émergent de temps en temps. Nul ne croit encore, en particulier dans les communautés catholiques, à la restauration de la chrétienté. Le monde d’aujourd’hui s’organise pour se passer de Dieu et taire les valeurs spirituelles dont l’Eglise a pourtant eu la garde. Le Pape Jean-Paul II assène « Aujourd’hui l’Européen vit comme si Dieu n’existait pas ». Les choses se passent comme si notre civilisation pariait sur les parties basses de l’être humain et que tous applaudissaient. Tous sauf les croyants sincères dont la finalité n’est pas le succès dans le monde matériel. Ces femmes et ces hommes qui vivent dans ce monde matériel mais qui ne sont pas de ce monde matériel. Car ils ont conscience d’être aussi des âmes qui doivent rendre compte de leurs actes.


Youssef Chems

Ecrivain, derniers ouvrages :

« Nass » Le Tabernacle des Lumières 

« Hadj-Amor » Pour l’Amour de Dieu 

 





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