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'Aujourd'hui, les musulmans, c'est beaucoup de Français'

Rédigé par Propos recueillis par Assmaâ Rakho Mom | Mardi 3 Avril 2007 à 11:30

           

La mission de l’enseignement catholique, la solidarité en France et dans le monde, catholiques et musulmans dans la France d’aujourd’hui, tels sont les thèmes qui, durant trois jours, du 27 au 30 mars 2007, ont occupé les 105 évêques réunis à Lourdes en assemblée plénière. Mgr Michel Dubost, président du groupe de travail intitulé « catholiques et musulmans dans la France d’aujourd’hui », a bien voulu répondre aux questions de Saphirnews.



Saphirnews : Qu’est ce que la conférence épiscopale ? A-t-elle lieu tous les ans, et dans quel but est-elle organisée ?


Mgr Michel Dubost : Les évêques faisant partie d’un même corps, nous aimons nous rencontrer pour savoir ce que nous pensons les uns et les autres et pour essayer de nous éclairer par la réflexion des uns et des autres. Nous nous réunissons au moins deux fois par an tous ensemble, mais on se réunit aussi plus souvent par petits groupes, sur des sujets donnés, on a des commissions de toutes sortes.

Qu’est-il ressorti de cette conférence ?


La conférence de laquelle ressort des choses est celle de novembre. En novembre nous prenons les décisions concernant les sujets à traiter. Il y a des débats, des décisions prises éventuellement, tandis que celle de mi-parcours sert à faire le point et à voir si nous partons bien dans la bonne direction pour qu’en novembre nous ne perdions pas notre temps.

Pourquoi avoir consacré une journée à la place des musulmans dans la France d’aujourd’hui ?


D’abord il faut rappeler que nous avons un service régulier de lien avec l’islam, le SRI, dirigé par le Père Christophe Roucou. Alors s’il y a eu un groupe de travail, c’est qu’au fond il est bon de réfléchir périodiquement sur des sujets importants. D’une certaine manière depuis dix ans, l’islam s’est beaucoup institutionnalisé. Il y a encore dix ans, on pouvait dire que les musulmans étaient dans l’ensemble beaucoup d’immigrés. Aujourd’hui c’est beaucoup de Français. Ce n’est pas tout à fait la même chose. Le Conseil français du culte musulman (CFCM) a changé un peu la donne. De plus en plus de Français musulmans sont totalement intégrés, avec leur volonté de pratiquer dans la société française. Il y a dix ans, nous étions encore très centrés sur l’accueil, sur l’attitude à avoir vis-à-vis des gens qui arrivaient de l’extérieur. On n’est plus tout à fait dans le même cas de figure. C’est important de réfléchir sur comment on vit avec des musulmans qui sont aussi citoyens.

Que pensez-vous de toute cette campagne électorale centrée sur le drapeau français et la Marseillaise ?


Je peux en témoigner ici, beaucoup de musulmans se sentent Français. Il y en a bien sûr de toutes tendances comme il y en a de toutes tendances chez nous, les catholiques. Ce qui nous lie c’est la citoyenneté, c’est la langue française, ce qui nous lie aussi c’est que nous avons des voisins qui sont musulmans. Du coup il y a des problèmes qui se posent tous simples, que ce soit le porc ou que ce soit la présence de pas mal de musulmans dans l’enseignement catholique. Il faut donc savoir comment on vit avec eux.

Avez-vous des chiffres concernant la présence de jeunes filles musulmanes voilées dans les collèges et lycées catholiques ?


Je n’en ai aucune idée. Je pense que cela n’intéresse pas grand monde de chercher les chiffres. A mon avis il y en a très très peu. Il est vrai que dans le Nord, l’enseignement catholique est quelque fois très prisé des gens de culture musulmane, mais des jeunes filles voilées cela m’étonnerait qu’il y en ai beaucoup.


Quelles sont vos relations avec les musulmans au niveau local ?


Il existe quatre types de dialogues avec les musulmans.
D’abord le dialogue de la ville. Nos voisins sont musulmans, donc nous parlons avec eux. Heureusement ! On souhaite bonne fête, on s’envoie des mots, qui pour Noël, qui pour l’Aïd, etc. Au moment de la Pentecôte, nous organisons une grande fête dans l’Essonne, et un certain nombre de musulmans sont invités, les uns par amitié, les autres pour participer à telle ou telle table ronde ou discussion. C’est ce que j’appelle le dialogue de la ville tout simplement. Prenons par exemple les problèmes liés aux mariages mixtes. Généralement les gens sont amoureux et ça va très bien, et après on s’aperçoit qu’il y a des problèmes culturels. Donc nous on essaye de dire attention, il est très important qu’il y ait une vraie réflexion avant et qu’on sache que quand il y a différence de culture tout est possible, mais à condition de s’y préparer, de savoir que dans les familles, on ne réagira pas forcément comme les amoureux, etc.

Le deuxième dialogue qui est un peu différent, c’est le dialogue de l’action. Il n’est pas impossible d’essayer de monter des choses ensemble. C’est très difficile pour des raisons qui ont trait à l’organisation des musulmans, qui n’est pas la même que la nôtre. On a donc deux courants qui ne sont pas organisés de la même manière. Par exemple pour tout ce qui est caritatif, aide aux autres. On a un certain nombre de musulmans qui viennent dans des associations animées par des catholiques. Le contraire n’est pas vrai parce qu’il n’y pas tellement d’associations musulmanes caritatives. L’islam a une générosité très forte mais beaucoup moins organisée que chez nous.

Puis nous avons un troisième type de dialogue, qui est spirituel. Ce sont des croyants et nous aussi, par conséquent on essaye de discuter de la croyance et de la foi.


Sur quelles bases est-il possible de discuter ?


Il existe des bases communes et d’autres qui ne le sont pas. Nos différences sont aussi importantes, mais par exemple moi j’ai été faire une conférence sur Abraham dans une mosquée voisine. C’est intéressant de réfléchir ensemble sur ce que c’est que la vérité, de réfléchir à la place de la théologie, de la réflexion, de l’Ecriture. On ne dit pas la même chose sur Dieu et donc c’est intéressant d’en discuter. Du reste cela permet aussi de prendre conscience de ce qu’on est. C’est comme un Français qui va à l’étranger et qui se découvre un petit peu différent, on découvre un peu son identité parce qu’on ne pense pas comme les autres.

Le quatrième type de dialogue est un peu provoqué par les institutions de la République, la société ou les autres religions. Quelques fois on attend de nous que nous soyons le pont entre les juifs et les musulmans par exemple. Quelques fois la société pense que nous avons quelque chose à dire sur la tolérance.


Qu’avez-vous pensé de l’ affaire des caricatures de Mohammed et du procès qui s’en est suivi ?


D’abord je suis totalement pour la liberté d’expression et je ne crois pas du tout en la nécessité d’une loi sur le blasphème. Deuxièmement, plus on est libre plus il faut être responsable. Je ne crois pas que cela soit très courageux de mettre le feu au monde seulement parce qu’on a envie de faire une caricature. J’appelle chacun au respect de l’autre. C’est tout à fait inutile de faire de la peine aux autres en société. La caricature se justifie si elle a pour but d’aider par le sourire, par le rire ou par la mise en cause de certains abus. Troisième point, je pense qu’il est très important dans le monde actuel, que l’on découvre l’autre et que l’on ne vive pas les uns à côté des uns mais les uns à côté des autres. Autant je me battrais pour que les médias aient le droit de faire des caricatures, autant je leur reproche volontiers de mettre de l’huile sur le feu et de ne pas permettre de se comprendre les uns les autres. Je pense que l’Education nationale a une responsabilité tout à fait importante car elle a souvent sur les religions une attitude qui n’est pas en accord avec le rapport de M. Debré.






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